« Estomac, mon ami,Adieu glaces et cookies »Terrorisme, écologie, éthique animale, la littérature pour la jeunesse s’est désormais emparée de toutes les questions qui obsèdent les sociétés contemporaines et s’en est fait le relais auprès des jeunes lecteurs. De façon originale et fort efficacement, avec Thomas et son Estomac, Dalal Danoun s’inscrit dans cette mouvance et crée un joli album qui s’intéresse à l’hygiène alimentaire. Manger correctement, de façon équilibrée, c’est là typiquement le sujet de petites brochures austères distribuées dans les écoles. Dalal Danoun, pour sa part, refuse cette approche et adopte une tout autre stratégie. Pour capter son lecteur, elle écrit un récit au ton léger et amusant propre à plaire aux enfants. Nul didactisme pesant ici, Dalal Danoun fait place au merveilleux et invente un conte moderne qui reprend les conventions du genre. Il délivre une morale : seul un être respectant une certaine hygiène de vie et s’alimentant convenablement peut être le digne hôte d’Estomac, un estomac qui n’a rien d’un organe rougeâtre et effrayant. Petit ballon ovale, perché sur deux jambes gringalettes, il est coiffé d’un joli nœud violet assorti à ses chaussures, un physique qui le rend d’emblée sympathique. Dans sa rondeur rose, il évoque un bambin de la famille Barbapapa, mais il n’en a ni la plasticité, ni les pouvoirs. Pour réussir dans sa quête, il lui faudra l’aide d’une figure merveilleuse : la fée Mélusine. Elle lui apprendra comment protéger ses diamants magiques et utiliser ce précieux trésor à bon escient. Tel Aladin sa lampe, il lui suffira de frotter doucement la surface des pierreries pour être immédiatement transporté dans un autre corps. Grâce à ses diamants, comme le héros d’un conte, Estomac remportera les diverses épreuves auxquelles il est soumis : différents maîtres et différents corps qu’il devra habiter – Thomas, l’amateur de junk-food, Chady, le végétarien, Maher l’ascète, et finalement, Yara, la jeune fille aux joues vermeilles. Ici, comme dans la tradition, la répétition produit une forme d’apprentissage et aboutit à une récompense : Estomac trouvera en Yara l’hôte idéal. Tout en s’inscrivant dans la tradition du conte, avec Thomas et son Estomac, Dalal Danoun renonce à certaines de ses conventions. Le lecteur n’est pas projeté dans un ailleurs lointain. La forêt des Cèdres et les rythmes de la « dabké » qui font danser les villageois évoquent clairement le Liban. Thomas, Chady, Maher et Yara ont certes des habitudes alimentaires différentes, mais ils incarnent tous l’une des facettes de sa société composite. Aussi, dans leur succession, montrent-ils la voie de l’équilibre et de la mesure à tous les jeunes Libanais. Délicat et pacifique, Estomac pourrait être comparé à un Mogwaï, cette petite bête qui ne doit pas être nourrie après minuit. Si son propriétaire souhaite qu’il demeure gentil et bienveillant comme le veut sa nature, il doit respecter certaines règles, faute de quoi Estomac pourrait se transformer en dangereux Gremlin. Qu’on le câline et il assumera ses fonctions, paisiblement, amicalement, mais qu’on ignore son rythme de travail et ses préférences, qu’on le maltraite et il vous tourmentera...Dans un français sobre très accessible, agrémenté de dessins enfantins et ludiques, Dalal Danoun apprend aux enfants à cajoler ce petit animal qui leur est si proche et qui leur veut du bien : leur propre estomac !Crystel Pinçonnat,Professeur de Littérature Générale et Comparée,Aix-Marseille Université